Faut-il croire en la psycho généalogie ?
Anne Ancelin Schützenberger, directrice du laboratoire de psychologie sociale et clinique de l’Université de Nice, est considérée comme la créatrice de la psychogénéalogie. Sa théorie est issue de ses observations et puise ses fondements dans la psychanalyse. L’idée est de rechercher dans le vécu de nos ancêtres les sources de nos éventuels troubles psychologiques, comportements étranges, voire maladies. Elle a popularisé ses travaux à travers un ouvrage « Aïe mes aïeux ! ».
Anne Ancelin utilise le concept « d’inconscient collectif » à plusieurs niveaux de Carl Jung, dont un inconscient d’ordre familial. Elle utilise également celui de « Loyauté familiale invisible », en lien avec celui de justice familiale. En résumé, chaque membre de la famille garde inconsciemment en mémoire une comptabilité subjective de ce qu’il a donné et reçu dans le passé et dans le présent, et ce qu’il donnera et recevra dans le futur. Par exemple, celui qui a été plus gâté que ses frères et sœurs ou qui s’est rendu coupable d’un délit risque de porter une dette inconsciente et de la transmettre à ses descendants sur plusieurs générations, au point qu’elle soit oubliée, mais pas sans effets pour autant.
Arbre de Jessé, avec Jessé assis. Arsenal, manuscrit 416 f° 7. Domaine Public >
S’ajoutent ensuite les notions de « crypte » et de « fantômes » inventés par deux psychanalystes freudiens. Meurtres, suicides, enfants illégitimes, maladies mentales touchent, au fil des générations, la plupart des familles. Pour autant, elles préfèrent ne pas en parler. Ces secrets peuvent devenir de véritables « fantômes », dans le sens où, enfermés par le non-dit dans une crypte de l’inconscient familial, ils peuvent en surgir pour influencer le comportement des personnes. Celles-ci ont alors conscience d’agir de façon irrationnelle dans certaines situations, mais ne peuvent pas s’en empêcher. Les fantômes sont donc une formation de l’inconscient né du secret inavouable d’un aïeul et qui s’est transmis inconsciemment au fil des générations.
Bref, un événement passé traumatisant peut venir influencer le comportement des membres de la famille. La démarche du psychogénéalogiste est d’expliciter tout cela.
Il se sert à cet effet notamment d’un outil dit géno sociogramme qui est en réalité un arbre généalogique sur 5 générations, mais d’ordre subjectif. En effet, il est constitué par la mémoire du patient (et parfois de ses proches, d’un groupe) et complété par les événements de vie importants (métiers, lieux d’habitation…) et des dates marquantes (naissances, mariages, décès…) voire des habitudes de ces aïeux. Le psycho-généalogiste va s’attacher notamment aux répétitions de dates, professions, etc. et essaiera ensuite de les interpréter.
^ Arbre généalogique publié par Michel Eyzinger dans Thesaurus principum hac aetate in
Europa viventium à Cologne en 1590, p. 146–147. Domaine Public.
Anne Ancelin avait ainsi repéré chez des personnes ayant des cancers des répétitions (par exemple, le déclenchement du cancer à la date anniversaire du décès d’un aïeul). Ceci pouvait aussi expliquer pourquoi certaines personnes se sentaient mal ou déprimées à certaines périodes de leurs vies, sans pour autant se souvenir de ces événements traumatisants.
Tout ceci fait beaucoup d’hypothèses. Anne Ancelin elle-même restait prudente, reconnaissant que rien, en l’état actuel, de ce que nous connaissons aux points de vue psychologique, physiologique ou neurologique ne permettait de comprendre comment des événements traumatiques pouvaient marquer une famille pendant des générations. Elle n’expliquait pas non plus comment la prise de conscience de ces événements permettait de briser le cercle répétitif.
— Dans ma famille, les hommes meurent ou partent et les femmes restent seules.
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— Et vous ? demande Anna.
— Moi ? J’avais un ami, répond Madeline. Nous nous sommes séparés. Je suis seule.
Par ailleurs, les probabilités banalisent les répétitions d’événements. Ainsi dans un groupe de 50 personnes prises au hasard, il y a…97% de chances pour que 2 soient nées le même jour (et non pas 50 chances sur 365 !).
De plus, dans l’hypothèse même d’une corrélation supposée, d’un lien entre deux événements, ce n’est pas pour autant qu’ils sont liés par une relation de cause à effet. La corrélation ne doit pas être confondue avec la causalité.
Paradoxalement, l’argument d’efficacité pour certaines personnes n’a jamais eu de valeur scientifique. Même si une personne identifie une loyauté familiale invisible et qu’elle guérit de ses maux, cela ne prouve pas l’existence des transmissions générationnelles.
Ajoutons encore que de vraies dérives sont possibles. En toute bonne foi, de faux souvenirs peuvent être induits chez le patient.
Bref, en l’état actuel, la psychogénéalogie reste une réflexion, une hypothèse nécessitant de plus amples recherches.
À chacun de se faire sa propre opinion.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
En CADEAU pour VOUS : Madeline, Sissa et les archives sous la montagne.
Fidèle lectrice, fidèle lecteur, je vous offre un épisode inédit, non présent dans le roman. Aujourd’hui, la plus grande part des actes d’état-civil sont numérisés et disponibles sur Internet. Mais il a bien fallu commencer. Aux Archives Départementales, Madeline rencontre une passionnée de généalogie qui l’initie… Où l’on parle de Sissa le joueur d’échec et d’un coffre-fort sous la montagne.
Avec toute mon amitié,
Jean K. Saintfort
Un épisode inédit à télécharger